Je Porte sur mon dos
Je porte sur mon dos
comme un sac de billes troué
l’insouciance du petit moi d’avant
celui qui sautait dans les flaques
comme on saute dans la vie
sans savoir nager
mais avec des ailes plein les pieds
Je porte sur mon dos
le bruit du monde et le pain du jour
un parapluie cassé, un rêve plié
des clés sans serrure
je marche entre deux souffles
ni tout à fait hier, ni déjà demain
et j’ai l’envie, parfois,de m’asseoir juste là
dans un soupir qui ne demande rien
Je porte sur mon dos
un futur en papier mâché
plié dans un coin de cœur
et qui dit
"viens, on recommence tout,
mais cette fois, en prenant le temps"
le temps de sentir l’écorce
de goûter l’eau claire
et de devenir quelqu’un
qui n’a plus besoin de se porter
Introduction
Ce poème déploie une méditation douce-amère sur le poids de l’existence et la persistance de l’enfance en soi. À travers une voix intime et marchante, il esquisse un univers de transition, suspendu entre mémoire et devenir, où le corps porte autant de charges symboliques que d’espoirs fragiles. L’atmosphère est à la fois mélancolique et apaisée, traversée par un désir discret de lenteur et de recommencement.
Axes thématiques
Le texte s’organise autour de plusieurs motifs majeurs qui se répondent et s’entrelacent.
- L’enfance perdue mais persistante : le « petit moi d’avant » incarne une insouciance trouée, imparfaite, mais toujours présente, comme un héritage affectif que l’adulte continue de porter.
- Le poids du monde : le dos devient le lieu symbolique de l’accumulation — bruit du monde, pain du jour, objets cassés ou inutiles — métaphores d’une vie chargée de contraintes et de responsabilités.
- La temporalité flottante : marcher « entre deux souffles » traduit un état liminal, ni ancré dans le passé ni projeté dans l’avenir, où le présent se fait fragile refuge.
- Le désir de recommencement : le futur en « papier mâché » suggère à la fois la précarité des projections et la possibilité d’un renouveau, fondé non sur la performance mais sur l’attention et le temps.
Écriture et musicalité
L’écriture se distingue par une grande simplicité lexicale, mise au service d’images concrètes et parlantes. La répétition de l’anaphore « Je porte sur mon dos » instaure un rythme lancinant, presque respiratoire, qui mime la marche et l’effort continu. Les métaphores quotidiennes — parapluie cassé, clés sans serrure, sac de billes troué — ancrent le poème dans une matérialité humble, immédiatement accessible.
La musicalité repose moins sur la rime que sur la fluidité syntaxique et les enjambements doux, qui laissent le vers se déployer comme une pensée en mouvement. L’absence d’emphase renforce la sincérité du propos, tandis que les images naturelles — flaques, ailes, écorce, eau claire — apportent une respiration sensorielle et poétique.
Lecture sensible
La lecture suscite une émotion de reconnaissance intime. Le poème parle de fatigue existentielle sans jamais céder au désespoir, offrant au contraire des espaces de repos symboliques : s’asseoir juste là, un soupir qui ne demande rien. Il invite le lecteur à accepter sa vulnérabilité, à reconnaître le poids qu’il porte, tout en imaginant la possibilité d’un allègement intérieur. Le dernier vers, « devenir quelqu’un qui n’a plus besoin de se porter », agit comme une promesse silencieuse de réconciliation avec soi-même.
Conclusion
Par sa langue claire et incarnée, ce poème touche à une expérience universelle : celle de grandir sans renoncer entièrement à l’élan premier de l’enfance. Il propose une éthique de la lenteur et de l’attention, où le véritable avenir ne serait pas de porter davantage, mais d’apprendre à déposer. Sa résonance tient précisément à cette modestie lumineuse, capable de faire écho aux vies ordinaires dans toute leur fragilité.