Dangereux Mirroir
On marchait
depuis longtemps
la forêt derrière
la fatigue devant
et puis soudain
entre deux arbres bien polis
un trou dans le vert
un genre de lumière
un genre de promesse
Alors on s’est dit
tiens
voilà la clairière
l’endroit qu’on attendait
l’endroit qu’on espérait
l’oasis dans le bois
le repos de la balade
On a cligné des yeux
on a rêvé tout haut
on a collé des images
des fleurs sur les pierres
des rires sur le vent
on a repeint le monde
et dessiné l'orée
Et puis on y a cru
c’est ça le pire
on y a cru, vraiment
On a inventé une maison
avec des murs en vert
et des fenêtre
ouvertes sur rien
un feu de camp
avec des souvenirs
et un avenir
avec du vide
Et la clairière ?
Elle brillait toujours
mais un peu moins
On a regardé
Dans nos pupilles
c’était pas la forêt
c’était un rêve
Joli et fabriqué
Un reflet
pas la réalité
juste un miroir
un dangereux miroir
où l’on voit ce qu’on veut
et jamais ce qui est.
Introduction
Ce poème explore la rencontre entre le réel et l’imaginaire au cœur de la forêt. L’atmosphère est d’abord lumineuse et pleine d’espoir, avant de se teinter de lucidité et de mélancolie. La clairière devient à la fois un lieu concret et une métaphore des désirs, des illusions et des projections de l’esprit.
Axes thématiques
Le texte développe plusieurs thèmes majeurs.
- La marche et l’attente : la progression dans la forêt installe un rythme méditatif, où fatigue et anticipation cohabitent, illustrant la tension entre effort et désir.
- La clairière comme promesse : elle symbolise le lieu idéal, le repos, la beauté et l’accomplissement, à la fois réel et imaginé.
- L’imaginaire et l’illusion : la création mentale d’une maison, d’un feu de camp et de souvenirs montre comment l’esprit transforme la réalité en projection personnelle, belle mais fragile.
- La lucidité et la désillusion : la clairière apparaît comme un miroir — séduisant, séduisant et trompeur — rappelant que nos perceptions peuvent refléter ce que nous désirons plutôt que ce qui est.
Écriture et musicalité
L’écriture est fragmentée, faite de phrases courtes qui reproduisent le rythme de la marche et du flux de pensée. Les répétitions — on y a cru, vraiment — accentuent l’effet dramatique de la révélation et de la chute émotionnelle.
Le vocabulaire mêle concret et imaginaire : trou dans le vert, fleurs sur les pierres, feu de camp, alternant avec des images mentales et poétiques. Cette alternance crée un souffle oscillant entre réel et rêvé, renforçant la musicalité douce et contemplative du poème.
Lecture sensible
La lecture suscite une émotion progressive : d’abord l’émerveillement face à la clairière perçue, puis la mélancolie douce liée à la prise de conscience de l’illusion. Le lecteur partage l’excitation et la rêverie, puis le retour à une lucidité qui invite à réfléchir sur la distance entre désir et réalité.
Conclusion
Ce poème illustre avec finesse le jeu entre perception et imagination, entre beauté attendue et réalité imparfaite. Par sa progression sensible et ses images mêlant concret et mental, il transforme la contemplation d’un paysage en réflexion sur les désirs, les projections et la fragilité des illusions.