Amnésie

Il y a

dans un coin de la tête

une pièce sans lumière

où dorment

des souvenirs sans nom.

Des mots dits trop tôt

ou pas assez.

Des actes effacés

du bout des lèvres

comme on souffle

sur des braises.

Le sol n’a rien oublié.

Sous les feuilles mortes

poussent encore

les gestes qu’on croyait perdus.

Le corps évite,

l’esprit détourne,

sans savoir pourquoi

mais c’est lui qui choisit

de ne pas savoir.

On oublie

sans oublier

Introduction

Ce poème s’inscrit dans une exploration intérieure, presque souterraine, de la mémoire et du déni. Il ouvre un espace mental clos, une pièce obscure où se déposent les traces de ce qui n’a pas été nommé, assumé ou pleinement vécu. L’atmosphère est feutrée, introspective, marquée par une tension silencieuse entre oubli volontaire et persistance du souvenir.

Axes thématiques

Le texte articule avec finesse plusieurs thèmes profonds et intimement liés.

  • La mémoire enfouie : la « pièce sans lumière » devient le symbole d’un recoin psychique où s’accumulent des souvenirs sans identité, présents mais inaccessibles.
  • Le non-dit et le regret : les mots « dits trop tôt ou pas assez » et les actes effacés traduisent une culpabilité diffuse, liée à l’impossibilité de corriger le passé.
  • La persistance du corps : contrairement à l’esprit qui évite et détourne, le sol et le corps « n’ont rien oublié », gardiens silencieux de ce qui a été vécu.
  • Le déni conscient : l’idée que l’esprit choisit « de ne pas savoir » introduit une responsabilité intime dans l’oubli, qui n’est plus accident mais stratégie.

Écriture et musicalité

L’écriture est dépouillée, fragmentée, faite de vers courts et d’enjambements marqués. Ce morcellement épouse le fonctionnement de la mémoire elle-même, faite de réminiscences discontinues. Le vocabulaire est simple, presque élémentaire, mais chargé de puissance symbolique : pièce, lumière, braises, feuilles mortes.

Les images naturelles instaurent une musicalité lente et organique. Souffler sur des braises, marcher sur des feuilles mortes, sentir ce qui pousse encore sous la surface : autant de gestes discrets qui suggèrent la survivance du passé. Le rythme ralentit progressivement, conduisant à une chute concise et troublante.

Lecture sensible

La lecture provoque une impression de reconnaissance intime et parfois inconfortable. Le poème met en mots cette zone grise de la conscience où l’on sait sans vouloir savoir. Il rappelle que l’oubli n’est jamais total, qu’il est une négociation fragile entre le corps et l’esprit. Le dernier vers, « On oublie / sans oublier », agit comme une vérité nue, laissant le lecteur face à ses propres silences intérieurs.

Conclusion

Par sa sobriété et sa justesse, ce poème atteint une portée universelle. Il dit l’impossibilité de faire table rase, et la manière dont les souvenirs, même privés de noms, continuent d’agir en profondeur. Sa force réside dans cette économie de mots qui éclaire, paradoxalement, les zones les plus obscures de la mémoire humaine.